Avant, j’étais un ours.
Avant, j’étais un ours. Un ours de la ville, d’une grande ville même, Casablanca. J’avais quelques amis proches, avec qui boire, rire et manger. Mais j’étais un ours quand même, solitaire. Et puis un jour l’ours brun a décidé de se mettre au vert, de revenir sur ses terres pour y planter des baies rouges. Terres inconnues où je ne connaissais en fait personne. En allant un jour au bois, j’ai croisé un monsieur qui faisait son bois près de chez moi, on a discuté et il m’a donné un premier conseil : « à la campagne, il faut pas rester seul, il faut rencontrer des gens ». Pas si facile me direz vous, surtout pour un ours. Il y a bien le troquet du coin mais on y rencontre surtout de l’entre-soi quand on n’est pas du coin. Et puis un jour, un ami maraîcher de Villeneuve-les-Genêts, sachant que la permaculture m’intéressait, me conseille de rencontrer un dénommé Jérémie, spécialiste en la matière. Quelques jours après l’avoir rencontré, je reçois de lui un courriel m’informant de la tenue d’une réunion spontanée de gens regroupés dans un collectif baptisé à l’époque « Charnuit debout ». L’ours sort de sa tanière, sa curiosité attisée. Discussion sous la halle du marché de Charny, échanges, rencontres, apéro… J’en suis revenu content mais dubitatif, ne sachant où allait ce petit ruisseau sorti d’on ne sait où. Mais le petit ruisseau a rencontré d’autres petits ruisseaux, eux aussi animés par un même courant, une même volonté de faire des choses ensemble. De se prendre en main, ici, sur le plan local, d’une manière différente, en pensant solidarité, environnement, durabilité… De cette confluence de volontés et alors né un nouveau collectif, élargi, la Halle aux Palabres. Pas du tout un truc fait pour les ours comme moi, donc. Et pourtant… J’y ai découvert ce que peut être la solidarité et l’échange, j’ai rencontré des gens riches en personnalité et en compétences variées et surprenantes, j’ai découvert la vie active des cafés et lieux associatifs. J’ai donné un peu, de la laine noire à quelqu’un qui avait un vieux métier à tisser, un peu de mon temps et de mes mots pour participer à la projection du film « Demain » à Charny, quelques navets de ma première récolte, un vieux fauteuil en cuir qui trône désormais chez de nouveaux amis, quelques boutures qui deviendront grandes… J’ai reçu beaucoup, des coups de main pour redémarrer un vieux motoculteur, pour aiguiser une tronçonneuse, vingt personnes sont venues chez moi pour m’aider à penser à l’organisation de mon espace de cultures, on m’a donné du fumier et des conseils, des tomates pour faire des semences, des rendez-vous utiles et surtout beaucoup de gentillesse et d’amitié ce qui pour un ours est comme du caviar sur le saumon. Alors si je dis tout ça, c’est surtout à l’attention des nouveaux arrivants dans le pays, dans cette Puisaye profonde, un peu froide et humide l’hiver (et pas seulement…).
Aux néo ruraux qui s’installent, aux exilés de la ville qui veulent tenter la chance d’une vie nouvelle et qui parfois repartent, n’ayant pu ou su faire leur trou confortable. A ceux qui, reniflant l’air du temps, ont senti que l’avenir du pays se jouait dans les pays, dans les campagnes. A vous qui avez eu l’idée de venir vous installer en Puisaye, et plus particulièrement dans la commune nouvelle de Charny-Orée-de-Puisaye, un conseil : pour ne pas reproduire le schéma de solitude de la ville, rencontrez du monde, ouvrez votre esprit, pensez « commune en transition » et faite un tour du côté de la Halle aux Palabres, vous serez étonnés par toute la richesse et la dynamique que l’on trouve au fin fond de nos territoires, quand on creuse un peu.